La dénutrition est un déséquilibre entre apports et besoins qui conduit à une perte de masse maigre, altère l’immunité, la cicatrisation, l’autonomie et augmente la morbi‑mortalité. Elle touche l’hôpital, la ville, l’EHPAD, l’oncologie, les maladies chroniques et le sujet âgé. L’intervention nutritionnelle précoce réduit complications, durée de séjour et réhospitalisations.
Pour accompagner efficacement ces patients, une gamme complète de matériel médical spécialisé est essentielle, des compléments nutritionnels oraux aux dispositifs de nutrition entérale.

Dépistage et diagnostic de la dénutrition
Le repérage précoce de la dénutrition constitue la première étape indispensable de la prise en charge nutritionnelle.
Outils de dépistage en pratique courante
- MUST (Malnutrition Universal Screening Tool) : outil rapide utilisable en médecine générale et hospitalière
- NRS-2002 (Nutritional Risk Screening) : recommandé en milieu hospitalier, intègre la sévérité de la pathologie
- MNA-SF (Mini Nutritional Assessment – Short Form) : spécifiquement validé en gériatrie et EHPAD
Diagnostic de référence : critères GLIM
Le diagnostic de dénutrition repose sur les critères GLIM (Global Leadership Initiative on Malnutrition), reconnus internationalement. Ils nécessitent la présence d’au moins un critère phénotypique ET d’au moins un critère étiologique :
Critères phénotypiques :
- Perte de poids involontaire (≥5 % en 6 mois ou ≥10 % au-delà de 6 mois)
- IMC bas (<20 kg/m² si <70 ans ; <22 kg/m² si ≥70 ans)
- Masse musculaire réduite (mesurée par impédancemétrie, DEXA ou anthropométrie)
Critères étiologiques :
- Réduction des apports alimentaires ou malabsorption
- Inflammation aiguë (infection, trauma, brûlures) ou chronique (cancer, insuffisance d’organe)
Signes d’alerte cliniques
- Perte pondérale ≥5 % en 1 mois ou ≥10 % en 6 mois
- Anorexie persistante, modifications des habitudes alimentaires
- Sarcopénie visible (fonte musculaire, faiblesse)
- Retard de cicatrisation, escarres, plaies chroniques
- Chutes répétées, diminution de l’autonomie
- Infections récidivantes, immunodépression
Note pratique : L’albumine est un marqueur d’inflammation, non un biomarqueur isolé de statut nutritionnel. Interprétez toujours l’albuminémie avec la CRP et le contexte clinique. Une hypoalbuminémie avec CRP élevée oriente vers une inflammation plutôt qu’une simple dénutrition.
Estimation des besoins nutritionnels
La détermination précise des besoins énergétiques et protéiques conditionne l’efficacité de la renutrition.
Besoins énergétiques
- Objectif standard : 30–35 kcal/kg/jour selon l’état clinique et l’activité
- Méthode de référence : calorimétrie indirecte si disponible (patients critiques, obèses, sous ventilation)
- Formules prédictives : Harris-Benedict ou Mifflin-St Jeor avec facteurs d’ajustement (stress, activité)
Besoins protéiques
- Dénutrition modérée : 1,2–1,5 g/kg/jour
- Dénutrition sévère ou hypercatabolisme : 1,5–2,0 g/kg/jour (trauma, sepsis, grands brûlés, chirurgie lourde)
- Obésité sarcopénique : calculer sur le poids ajusté pour l’énergie (25 kcal/kg/j) et sur le poids idéal pour les protéines (1,5–2,0 g/kg/j)
Répartition optimale des protéines
Pour maximiser la synthèse protéique musculaire, distribuez les protéines de manière équilibrée :
- Seuil leucinique : 2,5–3,0 g de leucine par repas pour stimuler efficacement la synthèse musculaire
- Apport par repas : viser 25–30 g de protéines à chaque repas principal
- Collation du soir : 15–20 g de protéines (lactosérum ou caséine) pour limiter le catabolisme nocturne
Hydratation
- Besoins standards : 30–35 ml/kg/jour
- Ajustements : insuffisance cardiaque ou rénale (restriction), fièvre, diarrhée, hypersudation (majoration)
- Surveillance : diurèse, pli cutané, muqueuses, bilan ionique
Stratégie nutritionnelle par voie orale : prioriser l’alimentation spontanée
La voie orale reste toujours la première intention en nutrition clinique. L’objectif est de maximiser les apports en rendant l’alimentation plus attractive, dense et accessible.
Principes d’optimisation des repas
- Fractionnement : 5–6 prises alimentaires par jour pour limiter la satiété précoce
- Présentation : servir les plats chauds, odorants, colorés ; privilégier les aliments préférés du patient
- Horaires adaptés : tenir compte des traitements médicamenteux, de la fatigue, des pics d’appétit
- Environnement : repas dans le calme, sans stress, assistance si nécessaire
Enrichissement systématique des plats
L’enrichissement consiste à augmenter la densité énergétique et protéique des aliments sans en augmenter le volume :
- Lait en poudre : 20–30 g ajoutés dans purées, soupes, boissons lactées, desserts (+80–120 kcal, +7–10 g protéines)
- Œufs : 1–2 œufs entiers dans purées, pâtes, riz, gratins (+70–140 kcal, +6–12 g protéines)
- Fromages : râpés, fondus dans légumes, pâtes, gratins (+100–150 kcal, +7–10 g protéines pour 30 g)
- Crème fraîche : 20–30 g dans soupes, purées, sauces (+60–90 kcal)
- Beurre/huile : 10–20 g par plat (+70–150 kcal)
- Poudre protéinée neutre : 15–30 g dans préparations salées ou sucrées (+60–120 kcal, +12–24 g protéines)
Exemples concrets d’enrichissement par portion
- Purée maison enrichie : + 20 g beurre + 30 g fromage râpé → +150–200 kcal, +6–8 g protéines
- Yaourt grec enrichi : + 30 g lait en poudre écrémé → +120 kcal, +10 g protéines
- Velouté enrichi : + 20 cl crème + 20 g poudre protéinée → +200–250 kcal, +15–20 g protéines
- Smoothie laitier : lait demi-écrémé + banane + 20 g beurre d’amande → +300–350 kcal
Textures adaptées
Privilégier des textures souples, faciles à mastiquer et à avaler :
- Viandes tendres, hachées ou émincées
- Poissons moelleux
- Légumes bien cuits, en purée ou mixés
- Fruits mûrs, compotes
- Pains moelleux, biscottes ramollies
Compléments nutritionnels oraux (ONS)
Les ONS (Oral Nutritional Supplements) sont des préparations standardisées destinées à compléter l’alimentation lorsque celle-ci, même enrichie, ne parvient pas à couvrir les besoins nutritionnels.
Formats et présentations
- Boissons lactées : format classique, saveurs variées (vanille, chocolat, café, fruits rouges), volumes 125–250 ml
- Boissons fruitées : alternative aux lactés, texture jus de fruit, rafraîchissantes
- Yaourts et crèmes dessert : textures semi-solides, appétentes, faciles à consommer
- Potages : salés, chauds, formats repas
- Shots hyperprotéinés/hypercaloriques : petits volumes concentrés (60–125 ml), forte densité
- Poudres modulaires : protéines (whey, caséine), glucides (maltodextrines), lipides (MCT – triglycérides à chaîne moyenne)
Profils nutritionnels ciblés
- Hypercaloriques : ≥1,5 kcal/ml, pour couvrir besoins énergétiques élevés en petit volume
- Hyperprotéinés : ≥20 g de protéines par portion, pour lutter contre la sarcopénie
- Riches en fibres : prévention ou traitement de la constipation
- Pauvres en lactose : intolérances, diarrhées
- Spécifiques diabète : index glycémique contrôlé, teneur en glucides adaptée
- Spécifiques insuffisance rénale chronique : limitation protéines, potassium, phosphore selon stade
- Spécifiques oncologie : enrichis en EPA/DHA, arginine, nucléotides (immuno-nutrition)
Posologie et modalités d’utilisation
- Dose usuelle : 1 à 2 unités par jour (200–600 kcal/jour supplémentaires)
- Dénutrition sévère : viser 600–900 kcal/jour en ONS, répartis en 2–3 prises
- Horaires : en dehors des repas principaux (collations 10h, 16h, 22h) pour éviter l’effet de satiété
- Température : servir très frais (boissons lactées/fruitées) ou chauds (potages) selon préférence
Astuces pour améliorer l’adhérence
- Varier régulièrement les saveurs et textures pour éviter la lassitude
- Proposer des petits volumes « compacts » (shots) plutôt que de grands volumes difficiles à terminer
- Intégrer les ONS dans des rituels (café du matin enrichi, goûter, soirée TV)
- Impliquer l’entourage dans l’encouragement et la surveillance de la prise
- Tenir un carnet de suivi pour valoriser les progrès
Indicateurs de succès de la supplémentation orale
- Observance : consommation ≥75 % des ONS prescrits
- Poids : stabilisation puis prise pondérale progressive (+0,5–1 kg/mois)
- Fonctionnel : amélioration de la force de préhension (dynamomètre), du lever de chaise, de l’autonomie
- Clinique : réduction des complications (infections, escarres, chutes)
Adapter l’alimentation aux troubles de la déglutition
Les troubles de la déglutition (dysphagie) exposent à un risque majeur de fausses routes, de pneumopathies d’inhalation et de dénutrition par réduction des apports.
Évaluation multidisciplinaire
- Collaboration étroite avec orthophoniste pour bilan clinique et instrumental (fibroscopie, vidéofluoroscopie)
- Dépistage systématique chez patients neurologiques (AVC, Parkinson, SLA, démences), ORL, post-radiothérapie cervicale
Adaptation des textures : classification IDDSI
L’IDDSI (International Dysphagia Diet Standardisation Initiative) définit 8 niveaux de textures (0 à 7) pour aliments et liquides :
- Liquides : 0 = liquide fin / 1 = légèrement épais (nectar) / 2 = modérément épais (miel) / 3 = très épais (pudding)
- Solides : 4 = purée / 5 = haché humide / 6 = tendre et en morceaux / 7 = normal
Utilisation des épaississants
- Épaississants instantanés : poudres à base de gomme de xanthane ou d’amidon modifié
- Dosage : selon niveau IDDSI souhaité et instructions fabricant (généralement 1–3 mesures par 100 ml)
- Mélange : disperser rapidement, laisser reposer 1–2 minutes, remuer à nouveau
- Stabilité : certaines préparations épaississent davantage avec le temps ; préparer juste avant consommation
Choix des ONS adaptés
- Privilégier les ONS texture pudding, crème ou yaourt en cas de fausses routes aux liquides
- Épaissir les ONS liquides si nécessaire avec épaississants compatibles
- Fractionner en petites quantités pour éviter la fatigue
Postures et stratégies de sécurisation
- Position : assise stricte à 90°, pieds au sol, dos droit, tête légèrement fléchie (menton vers sternum)
- Prises : petites bouchées ou gorgées, déglutition complète avant la suivante
- Surveillance : toux, voix humide, encombrement, désaturation
- Durée : ne pas précipiter, laisser le temps nécessaire (30–45 min par repas si besoin)
Nutrition entérale : quand la voie orale ne suffit pas
La nutrition entérale (NE) consiste à administrer des nutriments directement dans le tube digestif via une sonde, lorsque la voie orale est insuffisante, impossible ou contre-indiquée, tout en préservant l’intégrité et la fonction intestinale.
Indications de la nutrition entérale
- Apports oraux <60 % des besoins malgré optimisation orale et ONS pendant 7–10 jours
- Dysphagie sévère avec risque majeur de fausse route
- Troubles neurologiques (AVC sévère, SLA, Parkinson avancé, démences)
- Pathologies ORL et œsophagiennes (cancers, sténoses, mucites post-radiothérapie)
- Hypercatabolisme sévère (polytrauma, grands brûlés, sepsis)
- Chirurgie digestive majeure (œsophagectomie, gastrectomie, pancréatectomie)
Voies d’abord et dispositifs
Le choix de la voie dépend de la durée prévisible de la nutrition entérale et du niveau d’accessibilité du tube digestif. Pour faciliter la mise en place et le suivi, il est essentiel de disposer de sondes de nutrition entérale de qualité adaptées à chaque indication clinique.
Court terme (<4–6 semaines)
- Sonde nasogastrique (SNG) : la plus fréquente, mise en place au lit du patient, nutrition gastrique
- Sonde nasojéjunale (SNJ) : placement post-pylorique, indiquée en cas de gastroparésie, reflux sévère, pancréatite
Long terme (>4–6 semaines)
- Gastrostomie percutanée endoscopique (GPE ou PEG) : abord direct dans l’estomac, confort supérieur, discrétion
- Jéjunostomie : abord jéjunal chirurgical, réservée aux situations où l’estomac est inaccessible ou contre-indiqué
Formules de nutrition entérale
- Polymériques standard : protéines entières, 1,0–1,2 kcal/ml, première intention pour tube digestif fonctionnel
- Polymériques hyperénergétiques : 1,5–2,0 kcal/ml, volumes réduits, patients avec restriction hydrique ou besoins élevés
- Demi-élémentaires/oligomériques : peptides courts, triglycérides à chaîne moyenne (MCT), pour malabsorption, MICI, pancréatite chronique
- Spécifiques diabète : glucides à libération lente, enrichies en fibres, profil lipidique adapté
- Spécifiques insuffisance rénale : apport protéique et électrolytique contrôlé
- Spécifiques insuffisance respiratoire : profil lipidique élevé, réduction du quotient respiratoire
- Immuno-nutrition : enrichies en arginine, glutamine, oméga-3 (EPA/DHA), nucléotides ; en périopératoire de chirurgie digestive lourde ou en réanimation
Modalités d’administration
- Démarrage progressif : 20–30 ml/h en continu sur 24 h, augmentation de 20–30 ml/h toutes les 12–24 h selon tolérance
- Nutrition continue : administration 24 h/24 ou 18–20 h/jour, mieux tolérée initialement
- Nutrition cyclique : administration sur 10–14 h (souvent nocturne), laisse la journée libre, favorise autonomie
- Nutrition discontinue (bolus) : 200–400 ml sur 20–30 min, 4–6 fois/jour, simule les repas, pour gastrostomie en phase stabilisée
Surveillance et prévention des complications
- Position : tête de lit à 30–45° pendant l’administration et 1 h après pour limiter le reflux et le risque d’inhalation
- Résidus gastriques : vérifier toutes les 4–6 h en phase de démarrage ; si >250–300 ml, ralentir ou suspendre temporairement
- Digestif : surveiller nausées, vomissements, distension abdominale, diarrhée (adapter débit, formule, fibres), constipation (hydratation, fibres, mobilisation)
- Métabolique : bilan ionique (Na, K, Mg, P), glycémie, fonction rénale et hépatique réguliers
- Cutané : hygiène rigoureuse du site de gastrostomie, surveillance granulome, infection, fuite
- Mécanique : vérifier perméabilité sonde, rincer avant et après chaque administration avec 30–50 ml d’eau, ne jamais forcer en cas d’obstruction
Éducation et autonomie à domicile
- Formation patient/aidants : technique de branchement, débit, hygiène, signes d’alerte
- Matériel : pompe ou gravité, seringues, tubulures, sacs de nutrition, consommables
- Traçabilité : carnet de suivi avec volumes administrés, événements indésirables, poids hebdomadaire
- Suivi IDE/diététicien à domicile : coordination avec prescripteur, ajustements
Nutrition parentérale : l’exception utile
La nutrition parentérale (NP) consiste à administrer les nutriments directement par voie intraveineuse, en contournant le tube digestif. Elle représente le dernier recours lorsque la voie digestive est inaccessible, non fonctionnelle ou contre-indiquée.
Indications strictes
- Tube digestif non fonctionnel : occlusion intestinale, iléus prolongé, ischémie mésentérique
- Syndrome de grêle court sévère (<100 cm de grêle résiduel sans côlon)
- Fistules digestives à haut débit
- Mucite/entérite radique ou chimio-induite sévère empêchant l’alimentation entérale
- Échec ou insuffisance de la nutrition entérale malgré optimisation
Voies d’accès
- Voie périphérique : limitée à <900 mOsm/l, durée <7–10 jours, faible débit
- Voie centrale : cathéter veineux central (CVC), chambre implantable (PAC), PICC-line ; pour NP prolongée, hypertonique, hauts débits
Composition et prescription
- Glucides : 50–60 % de l’apport énergétique non protéique, débit max 4–5 mg/kg/min
- Lipides : 30–40 % ANC, émulsions lipidiques (soja, olive, poisson), apport quotidien ou 3 fois/semaine
- Protéines/acides aminés : 1,2–2,0 g/kg/j selon catabolisme
- Électrolytes, oligo-éléments, vitamines : adaptation quotidienne selon bilans biologiques
Démarrage et surveillance rapprochée
- Progression prudente : débuter à 50–75 % des besoins, augmenter sur 2–3 jours
- Surveillance métabolique : glycémies capillaires pluriquotidiennes (risque hyperglycémie), triglycéridémie, bilan hépatique (risque cholestase, stéatose), ionogramme complet
- Prévention infectieuse : hygiène stricte des manipulations, pansements occlusifs, surveillance signes infectieux (fièvre, frissons)
Complications et limites
- Infectieuses : infections liées au cathéter (ILC), sepsis
- Métaboliques : hyperglycémie, hypertriglycéridémie, déséquilibres électrolytiques, syndrome de renutrition inappropriée (SRI)
- Hépatobiliaires : cholestase, stéatose hépatique (risque accru si NP exclusive prolongée)
- Thrombotiques : thrombose veineuse sur cathéter
Principe fondamental : privilégier systématiquement la voie entérale dès que le tube digestif est fonctionnel, même partiellement (nutrition mixte entérale + parentérale si nécessaire).
Micronutriments et prévention du syndrome de renutrition inappropriée (SRI)
Le syndrome de renutrition inappropriée (SRI ou « refeeding syndrome ») est une complication métabolique potentiellement fatale qui survient lors de la réalimentation de patients sévèrement dénutris.
Physiopathologie du SRI
Lors d’un jeûne prolongé, l’organisme s’adapte en diminuant son métabolisme. La réintroduction brutale de nutriments, en particulier de glucides, provoque :
- Une sécrétion massive d’insuline
- Un passage intracellulaire massif de phosphate, potassium, magnésium
- Une hypophosphatémie, hypokaliémie, hypomagnésémie sévères
- Une carence en thiamine (vitamine B1) aggravée par la reprise métabolique
Conséquences cliniques
- Cardiaques : arythmies, insuffisance cardiaque aiguë, arrêt cardiaque
- Neurologiques : confusion, convulsions, encéphalopathie de Wernicke
- Respiratoires : insuffisance respiratoire par faiblesse musculaire
- Hématologiques : hémolyse, dysfonction leucocytaire
Patients à risque élevé de SRI
- Dénutrition sévère avec perte pondérale >15 % en 3–6 mois
- IMC <16 kg/m² (ou <18,5 kg/m² avec facteurs de risque)
- Apports négligeables (<10 kcal/kg/j) pendant >10 jours
- Anorexie mentale, alcoolisme chronique
- Postopératoire de chirurgie bariatrique, cancers ORL/digestifs
- Patients âgés polymorbides dénutris
Prévention du SRI : protocole « start low, go slow »
- Débuter prudemment : 10 kcal/kg/jour (soit 50 % des besoins), augmenter progressivement sur 4–7 jours
- Supplémenter systématiquement en thiamine : 200–300 mg/jour IV ou per os pendant au moins 3–5 jours (avant ou dès le début de la renutrition), puis 100 mg/j
- Corriger les déficits électrolytiques avant de débuter :
- Phosphate : 0,3–0,6 mmol/kg/j IV si <0,65 mmol/l
- Potassium : maintenir >4 mmol/l
- Magnésium : maintenir >0,75 mmol/l
- Surveillance biologique rapprochée : ionogramme complet (Na, K, Mg, P), glycémie, fonction rénale quotidiennement pendant 5–7 jours
- Limiter les apports sodés : risque de rétention hydrosodée et œdèmes
Autres micronutriments fréquemment déficitaires
- Vitamine D : dosage systématique, supplémentation si <30 ng/ml (1000–2000 UI/j ou dose de charge)
- Vitamines B : B1 (ci-dessus), B6, B12, folates (anémie, neuropathies)
- Zinc : cicatrisation, immunité, goût ; 15–30 mg/j
- Fer : uniquement après correction de l’inflammation (CRP normalisée) ; bilan martial complet
- Sélénium : antioxydant, immunité ; 55–70 µg/j
Règle d’or : tout patient sévèrement dénutri doit bénéficier d’une supplémentation multivitaminée et minérale large spectre dès le début de la prise en charge.
Sarcopénie et activité physique : le duo indissociable
La sarcopénie (perte de masse et de force musculaires) est une composante centrale de la dénutrition. La renutrition seule ne suffit pas à restaurer la masse musculaire : l’activité physique adaptée est indispensable.
Principes de l’exercice en renutrition
- Renforcement musculaire : 2–3 séances par semaine, exercices contre résistance (poids légers, élastiques, poids du corps), ciblant grands groupes musculaires
- Endurance : marche quotidienne 20–30 min, vélo, natation selon capacités
- Équilibre et souplesse : prévention des chutes chez personnes âgées (tai-chi, yoga, exercices posturaux)
Synergie nutrition-exercice
- Protéines rapides : lactosérum (whey) riche en leucine, consommé immédiatement après l’exercice pour maximiser la synthèse protéique
- HMB (β-hydroxy-β-méthylbutyrate) : métabolite de la leucine, 3 g/j, utile chez sujets âgés sarcopéniques ou alités
- Créatine : 3–5 g/j, améliore force et masse musculaire en association avec renforcement
Distribution protidique optimale
- Viser 25–30 g de protéines à chaque repas pour franchir le seuil de stimulation de la synthèse musculaire
- Collation protéinée au coucher : 15–20 g de caséine (protéine lente) pour limiter le catabolisme nocturne
- Privilégier les sources riches en leucine : viandes, poissons, œufs, produits laitiers, whey
Contextes cliniques à haut risque nutritionnel
Oncologie
- Dépistage systématique : à chaque cycle de chimiothérapie, toute consultation
- Objectif : maintien du poids et de l’indice de performance (PS/ECOG)
- ONS précoces : dès perte pondérale >5 % ou apports <75 % des besoins
- Gestion des symptômes : mucites (bains de bouche, anesthésiques locaux, textures adaptées), dysgueusies (aromates, masquage des goûts métalliques), nausées (fractionnement, antiémétiques, gingembre)
- Immuno-nutrition périopératoire : formules enrichies EPA/DHA, arginine, nucléotides 5–7 j avant et après chirurgie digestive majeure
Gériatrie et EHPAD
- Facteurs de risque multiples : anorexie physiologique, dépression, isolement, polymédication, troubles cognitifs, dépendance
- Stratégies : fortifier le « goûter » (moment d’appétit souvent préservé), enrichir les plats préférés, collations nocturnes
- Assistance à l’alimentation : présence humaine, stimulation, aide à la coupe et à la prise, temps suffisant
- Prévention de la déshydratation : boissons à portée, rappels réguliers, eaux gélifiées si troubles de déglutition
Chirurgie et postopératoire
- Réalimentation précoce : dès H6–H24 en chirurgie digestive, réduit complications et durée de séjour
- Voie entérale privilégiée : sonde naso-jéjunale ou jéjunostomie d’alimentation en chirurgie lourde (œsophagectomie, gastrectomie, Whipple)
- Immuno-nutrition : formules spécifiques 5–7 j avant et après intervention
- Mobilisation précoce : levé J0–J1, marche, kinésithérapie respiratoire
Maladies respiratoires chroniques (BPCO, insuffisance cardiaque)
- Hypercatabolisme : coût énergétique de la respiration accru, inflammation chronique
- Formules denses : petit volume, hyperénergétiques (1,5–2,0 kcal/ml)
- Fractionnement : 6–8 prises/jour pour limiter distension abdominale et gêne respiratoire
- Profil lipidique adapté : réduction du quotient respiratoire, moins de production de CO₂
Maladies neurologiques (AVC, Parkinson, SLA)
- Dysphagie fréquente : évaluation orthophonique systématique et régulière
- Besoins élevés en assistance : temps de repas prolongés, aide à l’alimentation, surveillance constante
- Gastrostomie précoce : en cas de dysphagie sévère ou évolutive (SLA), améliore confort et sécurité
Suivi et indicateurs de réussite de la prise en charge nutritionnelle
Fréquence du suivi
- Hospitalier : hebdomadaire (ou tous les 3–5 jours si SRI)
- Ambulatoire/EHPAD : toutes les 2–4 semaines pendant la phase de renutrition
- Rapprocher : en cas de complications, stagnation pondérale, refus alimentaire
Mesures anthropométriques
- Poids : même balance, même horaire, même tenue, hebdomadaire
- IMC : calculer et suivre l’évolution
- Périmètre de mollet : marqueur de masse musculaire chez sujet âgé
- Circonférence brachiale : alternative si pesée impossible
Évaluation des apports réels
- Carnet alimentaire : tenu par patient/aidant, avec portions estimées
- Observance ONS : nombre d’unités consommées / prescrites (objectif ≥75 %)
- Volumes entéraux : tracés quotidiennement, comparés à la prescription
Indicateurs fonctionnels
- Force de préhension : dynamomètre, test simple et prédictif
- Test de lever de chaise : 5 fois sans aide des bras (SPPB)
- Vitesse de marche : 4 mètres chronométrés
- Autonomie : score ADL (activités de la vie quotidienne), échelle de Katz
Biologie contextuelle
- Albumine et préalbumine : marqueurs mixtes (nutrition + inflammation), toujours interpréter avec CRP
- CRP : indispensable pour interpréter les marqueurs protéiques
- Hémogramme : anémie, lymphopénie
- Ionogramme, fonction rénale, bilan hépatique : selon support nutritionnel (entéral/parentéral)
Symptômes digestifs et tolérance
- Nausées, vomissements, douleurs abdominales
- Diarrhée, constipation
- Ballonnements, satiété précoce
- Reflux gastro-œsophagien
Objectifs réalistes
- Prise pondérale : 0,5–1,0 kg/mois en ambulatoire (rythme lent mais durable)
- Couverture des besoins : ≥75–100 % des apports caloriques et protéiques ciblés
- Amélioration fonctionnelle : force, endurance, autonomie
- Réduction des complications : infections, escarres, chutes, réhospitalisations
- Qualité de vie : questionnaires validés (QLQ-C30 en oncologie, SF-36, EQ-5D)
Aspects réglementaires et prise en charge en France
Statut des compléments nutritionnels oraux (ONS)
- Les ONS sont des denrées destinées à des fins médicales spéciales (FSMP/DADFMS selon règlement UE 2016/128)
- Leur usage nécessite un contrôle médical et doit répondre à des besoins nutritionnels spécifiques liés à une pathologie ou un trouble
- Ne sont pas des compléments alimentaires au sens réglementaire
Remboursement et accès
- Ambulatoire : la plupart des ONS ne sont pas remboursés par l’Assurance Maladie en France (à l’exception de situations très spécifiques : enfants de <3 ans avec pathologies listées, certaines erreurs innées du métabolisme)
- Établissements de santé et EHPAD : prise en charge institutionnelle dans le forfait soins
- Aides possibles : mutuelles, ALD avec accord préalable dans certains cas, fonds d’action sociale, associations de patients
Nutrition entérale à domicile (NEAD)
- Prescription initiale : hospitalière, par médecin spécialiste ou médecin traitant formé
- Prise en charge : remboursement formule, matériel (pompe, tubulures, seringues, dispositifs), prestations de suivi par prestataire agréé
- Organisation : prestataire assure livraison, formation, maintenance, astreinte 24h/24
- Suivi : coordination médecin traitant, IDE libérale/prestataire, diététicien, prescripteur hospitalier
Nutrition parentérale à domicile (NPAD)
- Centres experts : prescription et suivi par centres spécialisés labellisés
- Indications : insuffisance intestinale chronique (grêle court, MICI sévères, occlusions récidivantes)
- Prise en charge : intégrale (mélanges nutritifs, matériel, prestations, surveillance)
Traçabilité, sécurité alimentaire et dispositifs médicaux
- Hygiène des dispositifs : protocoles stricts de manipulation, rinçage, changement de tubulures, nettoyage des sites de gastrostomie
- Matériovigilance : déclaration obligatoire des incidents liés aux dispositifs médicaux (sondes, cathéters, pompes)
- Éducation thérapeutique : programmes structurés pour autonomisation du patient et de l’entourage
Tableau comparatif des voies de support nutritionnel
| Critère | Orale enrichie + ONS | Entérale | Parentérale |
| Intégrité intestinale requise | Oui | Oui | Non |
| Priorité dans l’escalade thérapeutique | 1ère intention, toujours privilégiée | 2ème intention si orale insuffisante | Dernier recours, tube digestif non fonctionnel |
| Densité énergétique | Modérée à élevée avec enrichissement et ONS | Ajustable (1,0–2,0 kcal/ml) | Très ajustable, concentrée |
| Risques principaux | Faible ; fausses routes si dysphagie non prise en charge | Intolérances digestives, aspiration, infections localisées (gastrostomie) | Infections liées au cathéter, complications métaboliques, hépatobiliaires |
| Lieux de mise en œuvre | Ville, EHPAD, hôpital | Hôpital et domicile (avec prestataire) | Hôpital et domicile sélectionné (centres experts) |
| Autonomie et confort | Maximal, préserve plaisir alimentaire | Bon en nutrition cyclique/bolus ; contraint en continu | Contraignant, manipulation aseptique, astreinte technique |
| Coût | Faible à modéré | Modéré | Élevé |
Recettes et protocoles pratiques
Recettes express hyperprotéinées et hypercaloriques
Crème dessert hyperprotéinée (220 kcal, 18 g protéines)
- 150 g de fromage blanc 20 % MG
- 30 g de lait en poudre écrémé
- 10 g de sucre (ou édulcorant)
- Arôme vanille ou cacao
Préparation : mélanger tous les ingrédients au fouet, réserver au frais 1 h.
Café latte protéiné (150 kcal, 16 g protéines)
- 200 ml de lait demi-écrémé
- 20 g de protéines de lactosérum (whey) neutre ou vanille
- 1 expresso
Préparation : chauffer le lait, ajouter la whey en mélangeant, verser l’expresso.
Soupe « plus » enrichie (350 kcal, 15 g protéines)
- 250 ml de velouté de légumes
- 20 cl de crème liquide 30 % MG
- 30 g de parmesan râpé
- 1 cuillère à soupe d’huile d’olive
Préparation : réchauffer le velouté, ajouter crème, parmesan et huile hors du feu, mélanger.
Smoothie énergétique (400 kcal, 12 g protéines)
- 200 ml de lait entier
- 1 banane mûre
- 20 g de beurre d’amande
- 1 cuillère à soupe de miel
- Quelques glaçons
Préparation : mixer tous les ingrédients jusqu’à texture lisse.
Organisation hebdomadaire type
- 7h30 : Petit-déjeuner enrichi (pain, beurre, confiture, lait avec poudre protéinée)
- 10h00 : Collation (1 ONS boisson lactée, 1 compote)
- 12h30 : Déjeuner enrichi (entrée, plat protéiné avec féculent et légumes enrichis, dessert lacté)
- 16h00 : Goûter (1 ONS yaourt ou crème, biscuits, thé)
- 19h30 : Dîner enrichi (soupe enrichie, plat protéiné, laitage)
- 22h00 : Collation nocturne optionnelle (lait chaud protéiné, biscuits)
Eau à portée permanente, consommation fractionnée entre les repas.
Pesée hebdomadaire : chaque lundi matin, même balance, après miction, avant petit-déjeuner.